Trois changements s’avèrent nécessaires dans le cadre du soutien de la communauté de la santé globale pour la promotion de la CSU
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Le mouvement global vers la couverture sanitaire universelle (CSU) a conduit les pays à jeter un regard neuf sur la façon dont ils financent leurs systèmes de santé, et comment les partenaires internationaux les soutiennent. Au cours des deux dernières décennies, la communauté internationale s’est surtout penchée sur le débat et la promotion d’instruments spécifiques au financement de la santé – qui vont du recouvrement des coûts à comment combler les écarts des recettes publiques pour la santé – en passant par les recours aux prélèvements de salaires destinés à l’assurance maladie sociale dans les pays à revenu faible et intermédiaire, le financement basé sur les résultats et ainsi de suite. Cet accent porté sur les solutions techniques a été un confort pour les experts techniques qui, la plupart du temps, montent ces programmes.
Il n’est pas surprenant que nous ayons découvert que ces instruments pointus ne sont pas des solutions miracles. Et lorsqu’ils sont choisis pour des raisons technocratiques ou conçus isolément, ils peuvent même faire plus de mal que de bien en particulier dans le domaine de l’équité. De façon plus fondamentale, nous avons découvert qu’un focus sur des solutions techniques n’impulsera pas le progrès de ce qui est essentiellement un voyage politique.
Bien que la « politique » ne soit pas notre affaire, pour être plus efficace, la communauté de la santé mondiale doit renoncer à la simple promotion de solutions techniques et adopter quelque chose de tout à fait différent. Nous devons améliorer notre appui à des processus solides, inclusifs, pilotés par les pays, investir et contribuer au renforcement de capacités des institutions et des individus. Nous devons également accorder plus d’attention au renforcement des communications stratégiques et à l’engagement des parties prenantes, et créer également plus d’opportunités pour un apprentissage collaboratif et efficace entre les pays.
Nous croyons que trois changements majeurs sont nécessaires pour un appui global efficace qui mène vers la CSU pilotée par le pays :
Des projets aux processus. Le projet traditionnel, financé par le bailleur, qui dure deux à cinq ans, a une vision restrictive des problèmes et des solutions de financement de la santé. Ceci crée souvent des incitations perverses à produire des résultats quantifiables au lieu de mettre l’accent sur des domaines indispensables aux gains durables pour la politique de financement de la santé tels que le développement institutionnel, le renforcement de capacités et l’amélioration des processus. Il crée également des programmes fragmentés, spécifiques aux projets, qui peuvent correspondre ou pas (comme c’est souvent le cas) aux priorités politiques nationales et aux réalités politico-économiques. Dans le meilleur des cas, ce décalage est inefficace mais au pire, il crée de véritables perturbations et de mauvaises consignes pour les décideurs politiques et autres parties prenantes du pays. De nouveaux mécanismes d’engagement, plus souples et pilotés davantage par les pays, peuvent mieux appuyer des processus inclusifs, indispensables à la recherche de consensus autour des solutions liées à la politique de financement de la santé qui nécessitent souvent des compromis difficiles. Ces nouveaux mécanismes d’engagement peuvent également mieux soutenir le renforcement de capacités institutionnelles adaptées au contexte et indispensables au maintien de ces processus.
De l’assistance technique « aller / retour » à la constitution de réseaux d’expertise régionale / nationale. Les projets traditionnels financés par les bailleurs reposent souvent sur un modèle « aller / retour » consistant à fournir une expertise technique « de haut niveau » de quelques semaines à la fois. Ce type de soutien est incompatible avec ce qu’il faut pour renforcer des institutions et améliorer des processus de gestion pour un changement durable. De plus, le soutien technique à court terme peine souvent à gagner en légitimité en raison de son manque d’attachement profond au contexte politique et économique national en général, et il sous-estime l’expertise non technique qui est indispensable pour prendre en main de façon crédible et efficace, les sujets complexes et politiquement sensibles.
Même lorsque les projets envoient des conseillers pour le long terme ou les intègrent dans une institution gouvernementale, les partenaires nationaux ont rarement leur mot à dire sur qui est embauché ou ne savent pas comment s’assurer de la redevabilité de leur performance. Dans d’autres cas, les partenaires mettent en place une infrastructure parallèle dans le pays et détournent les meilleurs talents au détriment des institutions locales. Certains programmes visent à renforcer les capacités locales, mais ils impliquent souvent des formations ponctuelles ou d’autres méthodes dont l’efficacité reste à être démontrée. Les experts issus de contextes et d’expériences plus proches des réalités du pays et qui de surcroît, sont disponibles pour soutenir une relation d’encadrement à long terme, sont plus susceptibles de contribuer à un soutien pertinent et approprié.
Il est temps de reconnaître que ce n’est pas seulement le foyer de l’expertise qui doit être réorienté, mais aussi la nature de l’expertise. Des défis politiques et économiques énormes se posent au financement de la santé pour la CSU – d’où un changement fondamental par rapport à qui obtient quoi et qui est responsable pour le paiement, d’autant plus que les soins de santé primaires deviennent plus essentiels. Aujourd’hui, les processus d’engagement et de dialogue se limitent souvent à un petit groupe et des détenteurs d’enjeux importants – allant du ministère des finances, aux élus locaux, au secteur privé, aux chercheurs et à la société civile – pourraient ne pas être consultés lors de la conception des politiques. Cela ne devrait surprendre personne lorsqu’une opposition se manifeste.
Les interventions en politique de financement de la santé exigent des connaissances techniques, mais d’autres compétences telles que la communication, le plaidoyer et la facilitation sont cruciales pour la gestion des intérêts divergents des parties prenantes, le partage de connaissances et l’établissement de consensus.
De la création de connaissances statiques à des ressources pratiques co-produites basées sur l’expérience de mise en œuvre. Les principes théoriques du financement de la santé pour des progrès équitables vers la CSU sont largement connus. Des recherches sur les impacts des différents instruments de financement de la santé sont également disponibles en abondance. Mais les progrès dans la mise en œuvre demeurent lents. L’une des raisons est que les défis auxquels les pays sont confrontés ne sont pas liés à ce qu’il faut faire, mais plutôt à comment le faire – comment concevoir des politiques adaptées au contexte qui répondent aux objectifs sociaux, économiques et politiques ; comment surmonter les problèmes de mise en œuvre et l’opposition des parties prenantes ; comment adapter et optimiser les connaissances et les enseignements tirés des autres contextes.
Ce troisième changement adresse la nature même de la création et de la gestion des connaissances ; s’éloigner des rapports traditionnels et des articles publiés (axés sur « ce qu’il faut faire ») et mettre l’accent sur des ressources pratiques et des outils émanant de l’apprentissage collaboratif et co-produits avec les pays partenaires sur la base de l’expérience de la mise en œuvre (axée sur la pratique du « comment faire »).
Le Joint Learning Network pour la CSU (JLN) et d’autres plateformes similaires aident déjà les pays à partager et à faire la synthèse de leur expérience sous formes d’outils pratiques co-produits, tels que des manuels et des boîtes à outils, que d’autres pays peuvent adapter et utiliser. Une étape supplémentaire est nécessaire pour traduire cette connaissance co-produite pour qu’elle soit incorporée dans les processus nationaux.
Embrasser le changement : Deux nouvelles initiatives
Results for Development (R4D) est pleinement résolu à effectuer ces changements, en commençant par deux nouvelles initiatives. Ce sont : la Plateforme africaine collaborative pour des solutions de financement de la santé (ACS) – financé par l’Agence américaine pour le développement international et le Centre de ressources africain pour l’achat stratégique (SPARC) – financé par la Fondation Bill et Melinda Gates.
Grâce à ces deux mécanismes R4D travaille en collaboration avec l’USAID et la Fondation Bill & Melinda Gates ; en même temps, elle forge des alliances et fonde des preuves pour des changements fondamentaux dans la façon dont nous aidons les pays à progresser dans la voie de la CSU axée sur les soins de santé primaires et pilotée par les pays, non seulement en Afrique subsaharienne mais dans tous nos pays partenaires.
ACS et SPARC cherchent ensemble à offrir aux pays des plates-formes pour adresser en profondeur les défis de leur économie politique et de la gestion des processus qui peuvent entraver la mise en œuvre des interventions de financement et de gouvernance de la santé sur le chemin vers la CSU. ACS et SPARC partagent trois dimensions fondamentales de leurs approches :
- Création de nouveaux modèles de soutien flexible, axé sur les pays. ACS travaille avec des organismes régionaux et des plates-formes multipartites composées d’acteurs au niveau des pays en vue d’identifier les défis de mise en œuvre et « gaps » dans les connaissances, afin de renforcer les processus nationaux pour les combler et d’accroitre la redevabilité pour faire progresser la CSU en Afrique subsaharienne. SPARC établit un modèle étoile « hub and spoke » reliant les parties prenantes au niveau national à un réseau d’experts et d’institutions basés en Afrique ayant une expérience approfondie de la mise en œuvre d’approches en achat stratégique pour renforcer les soins de santé primaires comme pierre angulaire de la CSU. Grâce à des pratiques d’achat stratégique pour la santé, SPARC et ses experts vont co-développer et négocier des paquets de soutien souples et axés sur la demande des pays qui veulent améliorer l’efficience des ressources limitées disponibles.
- Etablir et soutenir un réseau d’expertise basé en Afrique. ACS s’appuie sur l’expertise basée en Afrique en financement de la santé et en renforcement de capacités pour la facilitation des processus au niveau national et régional pour fournir un soutien neutre – et pour engager un éventail de parties prenantes pour les aider à relever les défis de l’économie politique. SPARC adoptera une approche en encadrement et mentorat pour soutenir un groupe d’experts basés en Afrique (individus et institutions) et leur offrira une plateforme qui servira à développer la demande pour leurs services dans le cadre d’un apprentissage mutuel. L’objectif est que ce groupe d’experts devienne la source privilégiée de soutien pour les pays cherchant à mettre en œuvre des politiques d’achat stratégique. A travers ces approches, nous espérons que ACS et SPARC vont œuvrer ensemble et, avec ceux qui partagent cette vision, établir un réseau africain d’expertise en financement de la santé qui soit robuste, durable et autonome.
- Offrir des opportunités pour un apprentissage collaboratif axé sur des méthodes pratiques et favoriser des processus solides et inclusifs. ACS et SPARC mettront à profit l’expérience et les ressources du JLN et d’autres plateformes de ce genre en matière d’apprentissage collaboratif et de coproduction de connaissances. ACS contribuera aux efforts de renforcement de capacités et au support pour un processus d’apprentissage structuré et itératif au niveau national et sous-régional. L’initiative s’appuiera sur des réseaux, des organisations et des institutions existants pour faire le plaidoyer en faveur de la redevabilité en matière de financement de la santé, pour partager les connaissances et apporter un soutien direct à la promotion des priorités nationales. SPARC travaillera avec des institutions de la région engagées dans le domaine de l’achat stratégique pour recueillir et faire la synthèse des expériences de mise en œuvre dans les pays et la traduire en ressources accessibles et pratiques qu’il mettra à disposition via une base de données de produits et d’outils.
En travaillant main dans la main, ces deux initiatives visent à situer et à mieux affirmer les solutions techniques de financement de la santé qui mènent vers une CSU axée sur les soins de santé primaires et pilotée par les pays, ancrées dans les réalités des politiques et des processus nationaux, et à apporter un soutien plus intégral pour faire face à ces réalités. Les trois changements qui sous-tendent notre approche nécessiteront également une évolution dans la manière dont les partenaires au développement définissent et mesurent les résultats de leur soutien, une question fondamentale que nous envisageons d’explorer sans tarder. En 2018, nous invitons d’autres partenaires à travers monde à se joindre à ce mouvement pour participer aux trois changements nécessaires en vue d’accélérer les progrès de la CSU au niveau national.
Photo ©Somtochukwu Mbelu pour Results for Development