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Exploration des moyens de parvenir à la couverture sanitaire universelle : Cinq leçons sur les moyens contributifs et non contributifs de financer les soins de santé

Agnes Gatome-Munyua, Nirmala Ravishankar, Joe Kutzin, Edwine Barasa, Gemini Mtei, Prastuti Soewondo, Pierre Yameogo, Grace Achungura, Martin Sabignoso, Hélène Barroy   |   October 18, 2023   |   Comments

De nombreux pays africains se sont engagés à mettre en place la couverture sanitaire universelle (CSU) en veillant à ce que leurs citoyens puissent accéder à des services de santé de haute qualité sans devoir souffrir de difficultés financières. Cet engagement a entraîné des initiatives de réformes dans toute l’Afrique, mais dans quelle mesure les politiques de santé reflètent-elles réellement cet objectif ?

Plusieurs pays africains ont choisi d’accroître la couverture démographique et financière par le biais de régimes d’assurance maladie contributifs qui lient les droits aux services de santé à un paiement anticipé sous la forme de cotisations ou de primes d’assurance. Les gouvernements peuvent utiliser des fonds du budget pour couvrir des groupes de population spécifiques, mais fondamentalement, la couverture est liée à la contribution. Les programmes de couverture non contributive déterminent le droit aux services en fonction d’autres critères, tels que la citoyenneté, la résidence ou le niveau de revenu. De tels régimes sont financés par le budget de l’État.

Les défis auxquels sont confrontés de nombreux pays africains lorsqu’ils cherchent à mettre en place une assurance maladie contributive sont que de nombreux bénéficiaires prévus n’ont pas la capacité de payer la prime et que leurs gouvernements ne disposent pas de fonds suffisants pour couvrir efficacement les partes contributives des populations. Compte tenu des niveaux élevés d’informalité sur le marché du travail, la collecte de cotisations obligatoires par le biais de charges sociales ne fonctionne que pour une minorité de la population. La théorie économique et les faits ont démontré la faiblesse inhérente à la participation volontaire de facto de la majorité de la population à ces régimes.

Alors que certains pays africains disposent de régimes d’assurance contributifs réservés aux travailleurs salariés et aux autres cotisants (par exemple, la Tanzanie et la Zambie), d’autres utilisent des fonds publics pour étendre le régime à des groupes à faibles revenus (par exemple, l’Éthiopie, le Gabon, le Ghana, le Kenya, le Maroc et le Rwanda). Malgré cela, la couverture de l’assurance maladie en Afrique reste faible (7,9 %), et ce sont surtout les riches qui en bénéficient, comme le montre une étude récente portant sur 36 pays d’Afrique subsaharienne.

Il est également bien établi que les régimes d’assurance contributifs dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire, tranche inférieure, n’ont pas augmenté les recettes du secteur de la santé et ont au contraire exacerbé la fragmentation du panorama du financement de la santé, créant ainsi des inégalités d’accès et des inefficacités. Ils n’ont donc pas aidé ces pays à progresser vers la CSU. Il est plutôt conseillé aux pays de s’appuyer sur des ressources essentiellement publiques, c’est-à-dire obligatoires et prépayées, par le biais d’une forme ou d’une autre d’imposition. En Afrique, le financement public acheminé par le biais du budget de l’État reste le plus grand réservoir de fonds susceptibles de faciliter les achats stratégiques.

Sur la base de ces considérations, il semble que les pays africains devraient revoir leur penchant pour les nouveaux régimes d’assurance contributifs et développer des moyens adaptés au contexte pour atteindre l’objectif de la CSU. Mais à quoi cela ressemble-t-il ?

Pour explorer cette question, le Strategic Purchasing Africa Resource Center (SPARC), Results for Development (R4D), ThinkWell et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont réuni des chercheurs et des praticiens lors du 15ème Congrès mondial de l’IHEA, qui s’est tenu au Cap en juillet 2023. Au cours d’une session d’une demi-journée, des intervenants d’Argentine, du Burkina Faso, d’Inde, d’Indonésie, du Kenya et de Tanzanie ont partagé leurs dernières recherches et opinions sur les régimes contributifs et non contributifs financés par l’État. Les panélistes ont également discuté des facteurs qui renforcent ou limitent le succès des deux approches pour atteindre les objectifs de CSU.

Un enregistrement de la session complète est disponible ici. 

Dans ce blog, nous résumons les principaux messages à retenir qui sont pertinents pour les praticiens travaillant en Afrique, qui envisagent des options conceptuelles pour progresser vers la CSU dans leurs pays.

1. Il ne suffit pas de dépenser davantage pour atteindre la CSU.

Un financement public plus important, provenant de recettes fiscales et non fiscales, est sans aucun doute nécessaire pour couvrir les populations vulnérables et les populations du secteur informel. Cependant, les pays africains peuvent réaliser beaucoup plus avec leurs niveaux de ressources actuels en étant plus efficaces.

Le Health Basket Fund de la Tanzanie rassemble les ressources des donateurs pour le secteur de la santé. Grâce au mécanisme de Financement direct des établissements de santé (DHFF), la Tanzanie achemine les ressources sanitaires existantes directement vers les comptes bancaires des établissements de soins de santé primaires, améliorant ainsi le flux de fonds au niveau du district. Grâce au DHFF, les prestataires peuvent utiliser une plateforme intégrée pour planifier, budgétiser et communiquer toutes les ressources, et utiliser ces fonds en fonction des priorités fixées localement et approuvées par les comités de gestion de leurs établissements de santé. Ces comités comprennent des représentants de la communauté afin de garantir la responsabilité au niveau local, même si les établissements de santé rendent compte de l’affectation de ces fonds publics par l’intermédiaire de la hiérarchie gouvernementale.

En Argentine, le Programa Nacer – appelé par la suite Programa Sumar – a introduit des subventions conditionnelles du Gouvernement national aux collectivités locales, et un financement basé sur les résultats de ces dernières aux établissements de santé. Le programme ne représentait que 1 % des budgets provinciaux, mais il a eu des effets sur le système en améliorant la façon dont les prestations sont définies et payées par les acheteurs. D’un point de vue économique, cette expérience suggère que le mécanisme utilisé pour cette injection de fonds relativement modeste a eu un impact marginal important sur la productivité.

2. Commencez par fixer des objectifs clairs et mesurables.

La première étape de la conception des moyens à mettre en œuvre pour atteindre la CSU consiste à bien définir l’objectif politique et les résultats que nous voulons obtenir. Si nous nous concentrons sur l’objectif d’accroître la couverture des personnes les plus vulnérables et de mobiliser davantage de ressources pour couvrir le secteur informel par le biais des cotisations d’assurance, nous réduisons nos options politiques à un seul moyen d’y parvenir et nous concevons des régimes d’assurance maladie qui pourraient ne pas être viables. En revanche, si nous nous concentrons sur l’objectif d’amélioration de l’accès aux services sans obstacles financiers, nous élargissons les options pour inclure des moyens non contributifs par le biais du budget de l’État.

La création d’une stratégie et d’objectifs clairs est une première étape importante, car l’objectif visant à atteindre la CSU ne sera pas atteint du jour au lendemain. L’objectif du programme Nacer de l’Argentine, mis en place en 2004, était d’améliorer la santé maternelle et néonatale dans les régions où les résultats sanitaires sont les moins bons. Ce résultat a été obtenu grâce à des incitations bien conçues utilisées par le gouvernement national dans le cadre du transfert de fonds aux provinces, avec des objectifs clairs à atteindre, complétés par un soutien technique et une autonomie locale suffisante. Les progrès progressifs réalisés en 19 ans ont conduit à l’extension du Programa Sumar, qui renforce la couverture publique de l’ensemble de la population.

3. Adoption d’une perspective systémique / vue d’ensemble

Les praticiens sont encouragés à adopter une vision systémique de la manière dont chaque réforme politique s’appuie sur les progrès accomplis dans le cadre de la réalisation de la CSU, plutôt que de se limiter à une perspective étroite du système, qui peut entraîner une couverture inégale. Le Programa Nacer a été conçu en tenant compte de l’architecture globale du système de santé, qui comprend les caisses d’assurance maladie nationales et provinciales, afin de créer une plus grande cohérence entre les acteurs du secteur de la santé dans la poursuite d’objectifs clairs en matière de couverture sanitaire universelle. L’Indonésie a remanié son système d’assurance maladie sociale en fusionnant les régimes d’assurance maladie existants afin de réduire la fragmentation entre de multiples régimes par le biais du Jaminan Kesehatan Nasional (JKN), qui a permis d’atteindre une couverture d’assurance maladie de 80 % et de réduire les dépenses à la charge des usagers. Le nombre de JKN membres inscrits, qui comprend les membres inactifs, est plus élevé à 93 % de la population. Les membres non cotisants, qui bénéficient de subventions publiques, représentent 60 % des membres du régime.

La réduction de la fragmentation du système était également un objectif du Pradhan Mantri Jan Arogya Yojana (PM-JAY) de l’Inde dans le cadre du programme de réforme Ayushman Bharat lancé en 2017. Le programme s’appuie sur le programme de transformation numérique du gouvernement et sur la base de données d’enregistrement civique pour créer une plateforme d’assurance maladie qui permet l’enregistrement transparent des bénéficiaires, le traitement des demandes de remboursement, l’habilitation des prestataires et la gestion des fraudes et des abus au sein des États et entre les États. Des modifications du système sont actuellement à l’essai pour améliorer l’accès aux dossiers médicaux, quel que soit l’acheteur (public ou privé). Cela donne une vue d’ensemble des systèmes qui peut permettre de modifier la conception des prestations ou les modalités d’achat afin de mettre au point les régimes et de résoudre les problèmes d’accès aux soins de santé des bénéficiaires.

Une perspective systémique peut également s’étendre au-delà du secteur de la santé, à la prestation de services et aux finances publiques de manière plus générale. En Tanzanie, le mécanisme du DHFF était unique en ce sens qu’il avait été conçu pour les secteurs de la santé et de l’éducation, afin d’améliorer l’équité dans l’affectation des ressources et d’éliminer les obstacles au flux de fonds vers les établissements de santé et les écoles, respectivement. Ce mécanisme est utilisé pour la planification, la budgétisation et l’établissement de rapports sur les fonds publics, ce qui permet à tous les niveaux de gouvernement – district, régional et national – d’avoir une vue d’ensemble des ressources affectées et utilisées par les prestataires.

4. Concentration sur des résultats clairs et sur les résultats souhaités en matière de santé

Dans un environnement post-Covid, les pays devront se concentrer encore plus sur la réalisation de la CSU et sur l’obtention de résultats clairs, alors que le financement du secteur de la santé diminue et que les indicateurs de la CSU stagnent.

Au Burkina Faso, le programme de soins gratuits Gratuité, qui cible les services de santé  maternelle et infantile, a créé un système de prépaiement des prestataires de santé, assorti de règles claires sur la manière dont les prestataires peuvent dépenser ces fonds. Une évaluation du programme Gratuité a révélé une augmentation de l’accès à l’accouchement par un agent de santé qualifié et des visites de consultation par les enfants. Gratuité, un régime non contributif financé par le budget du ministère de la Santé, a permis d’accroître les ressources versées au prestataire, bien qu’au fil du temps les demandes aient dépassé les ressources disponibles, ce qui a entraîné d’importants déficits de financement et des arriérés qui entravent la prestation de services. La pérennisation de Gratuité et des acquis obtenus nécessitera une révision du mécanisme de paiement des prestataires notamment la digitalisation de la facture individuelle de soins, la pharmacie hospitalière (dispensation individuelle au lit du malade), harmonisations des pratiques et des tarifs des prestations de soins gratuité et une augmentation de l’engagement financier de la part du Gouvernement burkinabé et de ses partenaires.

5. Les décisions prises aujourd’hui risquent d’être difficiles à annuler à l’avenir

Les praticiens doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils envisagent des choix de conception, car les décisions passées limitent les options disponibles dans le présent, et les décisions prises maintenant limiteront les options à l’avenir. Au Kenya et en Tanzanie, l’assurance maladie sociale contributive est un système hérité du passé qu’il a été très difficile de modifier malgré les changements au niveau des gouvernements. Les décisions visant à étendre l’ensemble des prestations peuvent être populaires, mais elles peuvent aussi être financièrement difficiles à maintenir en vigueur et devenir très difficiles à annuler. Au Kenya, le régime du secteur informel de la caisse nationale d’assurance maladie offre un large éventail de prestations, mais il souffre encore d’une sélection adverse due à l’adhésion volontaire, qui a conduit à un taux de sinistralité de 300 % (c’est-à-dire que de nombreuses personnes qui ont adhéré au programme d’assurance maladie avaient des frais de santé plus élevés, ce qui a conduit le programme à payer trois fois plus pour les sinistres que ce qu’il avait perçu comme primes, et ceci l’a rendu financièrement insoutenable). En Tanzanie, l’existence de trois régimes publics fragmentés pourrait s’avérer difficile à harmoniser à l’avenir, comme le prévoit le nouveau projet de loi sur la couverture sanitaire universelle.

Les considérations politiques ne doivent pas être sous-estimées, et les groupes d’intérêts peuvent faire dérailler un processus politique bien conçu, comme la conception d’un ensemble de prestations. L’influence indue des travailleurs du secteur formel ou des groupes de pression des travailleurs du secteur public peut entraîner l’inclusion de services qui menacent la viabilité financière des régimes d’assurance. Par exemple, l’Indonésie subit des pressions pour séparer les groupes du secteur formel et du secteur informel, en offrant des avantages plus importants aux membres du secteur formel qui contribuent davantage au régime.

Pour conclure : Décolonisation du programme de financement de la santé ?

En résumé, le chemin vers la CSU est spécifique au contexte, et il n’existe pas de solution unique, mais il y a des leçons importantes à tirer de la théorie et de la pratique. Quelle que soit l’approche retenue, une chose est claire : le financement des recettes générales doit être au cœur du programme. Les pays africains qui envisagent d’introduire des régimes d’assurance contributifs – tels que le Burkina Faso, l’Eswatini, le Sénégal, l’Ouganda et le Zimbabwe – seraient bien inspirés de tirer les leçons des autres pays sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et de les adapter à leur propre contexte.

Les praticiens peuvent choisir de mettre davantage l’accent sur la lutte contre les inégalités en matière de santé dans un environnement post-COVID plus difficile, en donnant la priorité à certains services et groupes démographiques pour le financement public, tout en continuant à plaider en faveur d’une augmentation des ressources publiques pour le secteur de la santé. En outre, d’autres leviers politiques tels que les systèmes intégrés d’information sur la santé peuvent constituer des points d’entrée utiles pour relever les défis du secteur de la santé, tels que la fragmentation, les inégalités et l’inefficacité.

Enfin, le suivi des progrès au fil du temps et la création d’une culture de l’utilisation des données pour comprendre l’impact des réformes mises en œuvre peuvent soutenir les efforts de plaidoyer. Il peut également aligner toutes les parties prenantes sur les objectifs d’atteinte de la CSU et de renforcement des systèmes de santé qui sont plus résilients et adaptables aux besoins croissants et changeants de la population en matière de santé.

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