L’avenir du financement de la nutrition : comment les gouvernements peuvent prendre en charge la lutte contre la malnutrition dans un contexte de crise imminente
Note de l’éditeur : R4D héberge la Plateforme de renforcement des capacités en financement (FCDP) pour les pays du programme Scaling Up Nutrition (SUN). La FCDP vise à remodeler le paysage du financement de la nutrition en inspirant et en incitant les dirigeants gouvernementaux à faire du financement de la nutrition une priorité et à accélérer l’impact dans tous les secteurs.
Les 27 et 28 mars, sous la présidence du gouvernement français, les dirigeants des pays du G28 et les leaders mondiaux de la nutrition se réuniront à Paris pour accélérer la lutte contre la malnutrition lors du Sommet Nutrition for Growth (N4G) 2025. Il est urgent de financer l’intensification des interventions nutritionnelles essentielles pour éviter une aggravation de la crise nutritionnelle. Mais dans le contexte actuel, la grande question que tout le monde se pose à l’approche de ce sommet est: à quoi ressemblera l’avenir du financement de la nutrition ?
Ce n’est un secret pour personne que les pays qui enregistrent les taux élevés de malnutrition dépendent largement du financement extérieur pour fournir efficacement des services nutritionnels essentiels, en particulier pour les denrées nutritionnelles (par exemple, les suppléments, le traitement de l’émaciation avec les ATPE). Il n’est donc malheureusement pas rare que les programmes de nutrition soient retardés, suspendus ou arrêtés en raison de forces extérieures telles que les fluctuations des cycles de financement des donateurs, les problèmes de passation de marchés, les changements politiques, etc. L’arrêt actuel du financement de l’USAID est peut-être le cas le plus extrême de l’histoire, où tant de pays ont connu en même temps l’arrêt brutal de programmes de grandes envergures, privant les populations de services de santé et de nutrition essentiels et les exposant à un risque accru de malnutrition et d’insécurité alimentaire.
Les gouvernements des pays sont conscients que la dépendance à l’égard du financement extérieur d’un petit nombre de donateurs n’est pas tenable et est incompatible avec les objectifs nationaux d’indépendance budgétaire. Les dirigeants nationaux travaillent déjà intensément pour changer cette situation. Mais il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, les tendances régionales en Afrique indiquent que les dépenses publiques consacrées à la nutrition restent faibles et ont stagné récemment. Dans la plupart des communautés économiques régionales (CER) d’Afrique, les dépenses publiques consacrées à la nutrition ainsi que l’aide des donateurs aux interventions nutritionnelles sont en baisse.
Certains pays prennent des mesures audacieuses. Par exemple, le Nigéria a lancé l’initiative « Nutrition 774 » pour lutter contre la malnutrition de manière globale en mettant l’accent sur l’impact au niveau local. Ce nom est bien choisi pour reconnaître l’encouragement et le soutien aux 774 collectivités locales du pays pour participer à l’effort d’ensemble de lutte contre la malnutrition. Le Conseil économique national a lancé l’initiative Nutrition 774 dans le cadre d’un effort collaboratif visant à encourager l’engagement politique à tous les niveaux de gouvernement, à améliorer le financement et à rehausser la question de la nutrition dans tous les secteurs. Cette initiative change la donne au Nigéria et a le potentiel de débloquer des financements importants pour la nutrition.
« [Cette initiative] est un engagement envers le peuple nigérian : nous ne resterons pas les bras croisés pendant que nos enfants souffrent des conséquences évitables de la malnutrition »
–Kashim Shettima, Vice-président du Nigéria
Au Pakistan, l’Initiative pakistanaise pour la nutrition (PANI), menée par le gouvernement, contribue à coordonner et à aligner les ressources provenant de sources nationales et de partenaires au développement externes autour d’un plan unique afin de lutter efficacement contre la malnutrition dans 36 districts fortement touchés par la malnutrition à travers le pays. PANI a été lancée en 2023 sous la direction du Ministère Fédéral de la Planification, du Développement et des Initiatives spéciales pour ancrer la mise en œuvre multisectorielle du plan. En outre, au niveau décentralisé, les provinces ont élaboré des mesures pour relever les défis du financement de la nutrition, en mettant l’accent sur le renforcement des systèmes décentralisés de suivi et de redevabilité en matière de nutrition.
« La nutrition est au cœur des ODD, 12 sur 17 sont liés à la nutrition. Sans amélioration de l’état nutritionnel, nous ne pourrons pas atteindre l’agenda 2030 des ODD… Le Pakistan perd environ 7,6 milliards de dollars chaque année à cause de la malnutrition »
–Dr Nazeer, Chef de la nutrition, Ministère de la Planification, du Développement et des Initiatives spéciales et Point focal SUN
Au Sénégal, le gouvernement s’est engagé à assurer la souveraineté financière et les leaders de la nutrition font des progrès significatifs pour mobiliser des ressources afin de soutenir le Plan Stratégique Multisectoriel de Nutrition (PSMN) du pays pour la période 2024-2028. Par exemple, en 2024, le Conseil National de Développement de la Nutrition a procédé à la revue des dépenses publiques consacrées à la nutrition afin d’identifier les interventions sous-financées et d’élaborer une stratégie de mobilisation des ressources pour combler les déficits de financement.
« La nutrition est un levier stratégique pour le développement humain, socle de l’Agenda National de Transformation – Sénégal 2050. Pour surmonter les défis liés au financement de la nutrition, le pays va poursuivre la diversification des sources de financement et la mise en place de mécanismes innovants tout en continuant le plaidoyer pour un engagement accru dans la mobilisation de ressources internes afin d’assurer la pérennité des interventions spécifiques comme sensibles nutrition. Aussi, le marquage budgétaire et la planification des dépenses dans le cadre du financement des Plans d’Appui Sectoriel (PAS) du PSMN seront matérialisés afin de garantir une allocation transparente et efficace des ressources dédiées à la nutrition. Cette approche permettra d’assurer une meilleure visibilité des investissements, d’optimiser leur impact et d’inscrire la nutrition comme une priorité durable dans les politiques de développement du Sénégal. Il sera mis en place des stratégies de résilience nutritionnelle adaptées au contexte local et pour le financement desquelles, les collectivités territoriales seront fortement responsabilisées. »
–Aminata Ndoye, Secrétaire Exécutive, Conseil national pour le développement de la nutrition
En Somalie, malgré des ressources limitées et des priorités concurrentes, le gouvernement a fait preuve d’un engagement fort dans la lutte contre la malnutrition. Le gouvernement somalien a récemment organisé un atelier avec les parties prenantes nationales pour discuter des dispositions pratiques à prendre pour renforcer le financement du plan multisectoriel de nutrition du pays, marquant ainsi une étape importante vers la mobilisation des ressources. Et les actions sont en cours.
« La Somalie reconnaît que la malnutrition fait plus de victimes parmi les enfants somaliens que les conflits et autres catastrophes causées par l’homme, d’où les efforts incessants du gouvernement pour plaider en faveur d’un financement accru de la nutrition, tant au niveau international qu’au niveau national. »
–Dr Mohamed Abdi Farah, Conseiller Principal pour les systèmes alimentaires, la nutrition et le changement climatique, Cabinet du Premier ministre, Point focal SUN
Appel à l’action : réexaminer et innover
Pour progresser dans le financement durable de la nutrition, nous devons, en tant que communauté mondiale, mettre un terme à la fragmentation des efforts et soutenir le leadership des gouvernements. Nous devons également réfléchir de manière innovante à la façon dont les investissements sont conçus pour soutenir les plans nationaux de développement à long terme.
Les pays fortement touchés par la malnutrition doivent agir rapidement pour améliorer la situation du financement de la nutrition et peuvent commencer par :
- réexaminer les tendances du financement de la nutrition dans tous les secteurs et vérifier que chaque secteur ait rempli ses engagements en matière de nutrition
- réexaminer les déficits de financement et les besoins immédiats et fixer des objectifs de financement pour les priorités sous-financées qui nécessitent un soutien
- Capitaliser les programmes gouvernementaux en intégrant les actions nutritionnelles et en identifiant des sources de financement innovant
Les donateurs, notamment les banques régionales et nationales de développement et le secteur privé, jouent un rôle essentiel dans le soutien aux plans de développement nationaux et peuvent contribuer à cet effort en mettant l’accent sur des stratégies d’octroi de subventions qui stimulent les gains en matière de nutrition en intégrant des actions nutritionnelles explicites dans les investissements sectoriels. Toutes les subventions ne sont pas pertinentes pour la nutrition, mais il est important d’examiner les investissements pour s’assurer qu’aucune occasion de stimuler la nutrition ne soit perdue. Certains membres du réseau des donateurs SUN utilisent l’outil de marqueurs de politique nutritionnelle de l’OCDE pour définir les actions nutritionnelles. Le Millenium Challenge Corporation (MCC) est allé plus loin avec sa boîte à outils d’investissement en nutrition, conçue pour les économistes qui mettent au point les investissements dans tout secteur susceptible d’influencer la nutrition.
Si l’obtention d’un financement durable pour la nutrition est un effort à long terme qui demande du temps et du dévouement, ces premières étapes sont réalisables : nous devons examiner les possibilités de financement et innover dans la manière dont le financement est utilisé. En novembre 2025, les pays SUN se réuniront au Rwanda pour le Rassemblement Mondial SUN. Il s’agit d’une étape importante à laquelle chaque pays devrait démontrer des progrès vers un financement durable de la nutrition.
La FCDP pour les pays SUN soutiendra les pays tout au long de ce parcours et contribuera à faciliter les apprentissages régionaux. Contactez-nous pour en savoir plus.